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Les femmes se cachent-elles pour consommer?

La consommation de drogues n’est-elle qu’une affaire d’hommes? Pendant des décennies, une croyance a persisté selon laquelle les femmes consommaient beaucoup moins que les hommes. Les chercheurs, majoritairement des hommes, concentraient alors leurs études sur la consommation masculine. Des chercheuses ont progressivement développé des études plus inclusives, mais leurs résultats étaient ignorés ou minimisés dans les publications académiques, principalement dirigées par des hommes.

Avec le temps et l’arrivée de plus en plus de femmes dans les milieux universitaires, la recherche a pu démontrer que les femmes consommaient, et beaucoup plus que l’on ne pensait. Aujourd’hui, si les statistiques montrent encore certaines différences entre hommes et femmes, elles sont parfois minimes, et cet écart tend à se resserrer. Pourtant, les femmes restent largement sous représentées dans les parcours de soin en dépendance. Explications.

Une stigmatisation toujours forte de la consommation

De plus en plus, les questions de dépendance aux drogues sont vues comme un enjeu de santé publique, plutôt que de criminalité. Malgré cela, une forte stigmatisation des personnes qui consomment persiste. Celle-ci se présente sous trois formes différentes :

  • La stigmatisation sociale. C’est le regard que porte la société sur les enjeux de consommation de drogues. Un regard souvent négatif et teinté d’incompréhension vis-à-vis des réalités vécues par les personnes consommatrices de substances. Elle peut s’exprimer par du jugement, des propos dégradants ou encore de la discrimination.
  • L’auto-stigmatisation. C’est notamment la conséquence de la stigmatisation sociale : à force d’être exposée au regard négatif porté par la société, la personne les intègre et les applique à elle-même. L’auto-stigmatisation peut alors produire un sentiment de honte qui empêche la personne de demander de l’aide.
  • La stigmatisation structurelle. Cette forme de stigmatisation est intégrée au cœur des systèmes de santé et de services sociaux. Elle peut se traduire par le refus d’offrir certains services à des personnes parce qu’elles consomment des drogues, par exemple. Dans d’autres cas, ça peut être de ne pas prendre au sérieux un problème de santé physique ou mentale, jugeant que la consommation est responsable de tout, et négligeant d’investiguer toute autre possibilité.

Les femmes jugées plus sévèrement que les hommes

Ces trois formes de stigmatisation peuvent entraîner des conséquences majeures sur toute personne qui consomme des drogues. Toutefois, on remarque qu’elles sont plus fortes encore dans la population féminine. Dans une étude franco-québécoise parue en 2023, les femmes interrogées considéraient notamment « que le fait d’être une femme est associé à des attentes et à des pressions élevées, en lien par exemple avec leurs responsabilités parentales et à leur apparence physique. »

En effet, le poids de la parentalité pèse plus lourd sur les épaules des femmes. Quels que soient les choix personnels de ces dernières, on persiste encore à associer systématiquement, voire réduire les femmes à la maternité. Or, le rôle de mère est perçu comme incompatible avec la consommation de substances et alimente une forte stigmatisation sociale. Certaines mères renonceront même à parler de leur consommation à des professionnel·les de santé par crainte de perdre la garde de leur·s enfant·s.


« On voit souvent des femmes qui [accèdent à] des services spécialisés en [dépendances] après plusieurs années de trouble parce qu’elles n’en auront pas parlé à leur médecin de famille, leur psychologue par exemple, par peur d’être jugée, de perdre la garde de leur enfant, d’être vue comme une personne qui n’est pas digne de respect […] On a peur de comment le professionnel devant nous va nous juger. »

Karine Bertrand, PhD, Psychologue, professeure titulaire au département des sciences de la santé communautaire de l’Université de Sherbrooke, directrice scientifique de l’Institut universitaire sur les dépendances, lors du panel d’expert·e·s organisé par Drogue : aide et référence le 12 avril 2023.

Il existe un lien direct entre la stigmatisation des personnes utilisatrices de drogues et leur accessibilité à des parcours de soins adaptés. Il s’agit d’un cercle difficile à rompre : plus la stigmatisation sociale est forte, plus l’auto-stigmatisation, la honte, se renforce. Plus la honte se renforce, moins on a tendance à demander de l’aide. Moins on demande de l’aide, moins les services de soins s’adaptent, et plus on s’éloigne du processus de déstigmatisation.

Ces services inadaptés alimentent alors une méfiance envers le système de la part des femmes. On peut lire dans une récente étude « l’importance de se sentir dans un espace sécuritaire qui leur permettrait de révéler certaines expériences sensibles, par exemple liées à des traumatismes. »

D’autres obstacles propres aux femmes

La honte et la méfiance s’ajoutent à d’autres barrières dans l’accès aux soins, et notamment celles qui découlent de l’inégalité persistante entre les genres dans la société en général. On sait en effet qu’aujourd’hui encore, les femmes ont plus souvent des revenus inférieurs à ceux des hommes, des emplois plus précaires, plus de responsabilités familiales et représentent aussi la majorité des familles monoparentales. Autant de facteurs qui rendent beaucoup plus difficile l’accès aux soins, même quand un appel à l’aide a été lancé.

Cette présence minoritaire des femmes à travers les différents parcours de soins rend également plus difficile l’évaluation de l’efficacité des programmes et de leur capacité à répondre à leurs besoins spécifiques. On remarque par ailleurs que différents projets de recherche rencontrent des difficultés à recruter des candidates parmi les femmes ayant intégré un parcours de soin et ce, pour des motifs similaires de méfiance. Ces travaux de recherche sont pourtant d’une grande importance pour identifier les besoins spécifiques de certains publics, et ainsi mieux y répondre.

Avance-t-on dans la bonne direction?

Se poser la question de la stigmatisation spécifique aux femmes est un pas dans la bonne direction. Les différentes études citées plus haut, dont certaines sont très récentes, démontrent l’intérêt porté par les milieux de la recherche à mieux comprendre cet état de fait. Si beaucoup reste à faire, ces travaux permettront de contribuer à guider les systèmes de santé et de services sociaux vers des pratiques plus inclusives pour les femmes, ainsi que pour les personnes issues de la diversité de genre.

À Drogue : aide et référence, nous constatons que la proportion de femmes qui utilisent notre service est plus élevée que leur représentation réelle dans les parcours de soin. Karine Bertrand, invitée à s’exprimer lors de notre événement-bénéfice de 2023, y voit un signe que la confidentialité du service, ainsi que son mode d’intervention entièrement à distance, en font une piste sérieuse et efficace dans la prise en charge des femmes utilisatrices de drogues et la lutte contre la stigmatisation.

Part d’hommes et de femmes dans différents services de soin en dépendances

Statistiques - Femmes dans les parcours de soin

Les diagrammes ci-dessus donnent un aperçu de la sous-représentation des femmes dans certains parcours de soin, comparée à la quasi-parité dans le volume de demandes d’aide reçues par nos services. Ces chiffres sont présentés à titre d’exemples et ne remettent pas en question la qualité des soins offerts aux femmes dans ces services, ni leur capacité à accueillir davantage de femmes.

C’est d’ailleurs une bonne occasion de rappeler que notre service est accessible gratuitement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, à travers tout le Québec :

  • si vous cherchez de l’aide pour vous-même sans savoir vers qui vous tourner,
  • si vous connaissez une personne que notre service pourrait aider,
  • si vous voulez vous outiller pour aider une proche dans son parcours.

Contactez-nous par téléphone au 1 800 265-2626, ou par clavardage en bas à droite de l’écran. Notre équipe offre écoute, soutien, information et référence.

 

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